Je dois faire preuve d’honnêteté́ et admettre que passé l’excitation de départ j’ai débuté́ le thème du pli avec appréhension et à reculons. En effet, si les modèles en origami sont très beaux et esthétiques je trouvais ces formes difficiles et compliquées à appréhender étant donné le choix et la complexité́ infinies qu’elles impliquent. De plus, si la fonction utilitaire est une demande courante dans notre formation, je suis encore un peu mal à l’aise à l’idée de concevoir un objet de ce type et n’ai pas encore trouvé mon positionnement et mon style. J’ai donc décidé de me concentrer sur les matières, c’est à dire le papier et la terre, et de créer une pièce plus organique, en mettant l’objectif sur la texture de la forme. L’idée est de ressentir les matériaux de base et de perdre la fonction de l’objet. J’ai choisi de travailler le papier de manière différente et de provoquer le pli, à la fois d’une façon classique, en pliant, mais aussi en le déformant et en lui infligeant de la tension. Ma forme apparaitra comme plus basique et moins « mathématique» mais elle laissera place à d’autres ressentis. Mon objectif était aussi d’expérimenter avec différentes terres de coulage et notamment avec du Klinker 4FS, dont j’aime le grain et la couleur mais qui se prête difficilement au coulage. Les défis sont les suivants : vais-je être capable de créer un mélange qui peut être coulé ? Le mélange va-t-il capturer les plis discrets de ma pièce ?
Mes inspirations
J’ai choisi de re-interpréter le travail de Guillaume Bardet et du couple Stoian/Gjerde en m’inspirant des formes de Guillaume Bardet mais en empruntant le traitement de la matière papier du couple Stoian/Gjerde.
La forme est un vase couché qui emmène notre imagination au-delà de la fonction. Outre, gourde, organe, animal, poisson, bateau, crevette, jouet, notre cerveau s’interroge. Le papier est tordu, tendu, on perçoit bien sûr le pli évident mais aussi la tension du papier traité et texturé, qui donne une dimension de plus à cet objet alien.
Le pliage
Comme je l’ai dit précédemment l’origami m’intimide et je me sens peu à l’aise dans la conception d’un pliage complexe, autant intellectuellement que visuellement (astigmatisme bonjour !) Au lieu d’un processus classique et impliquant l’usage de la géométrie, je suis partie de ma forme finale et j’ai tâtonné jusqu’à trouver un pliage qui fonctionne en expérimentant.
J’ai commencé par des croquis de vases et formes. Je leur ai ensuite appliqué des faces planes et j’ai cherché à construire une version dépliée et couchée. Après plusieurs traçages, découpages, et montage je suis parvenu à un compromis qui me convenait.

Le papier
J’ai essayé́ différents papiers : du plus fins au plus épais. Ma préoccupation était que le papier puisse supporter le coulage de la matrice et le contact avec le plâtre mouillé.
Contre toute attente c’est le papier le plus fin qui a donné́ les meilleurs résultats. En effet une fois durci à l’aide du durcisseur de textile Texifix de Glorex le papier a très bien tenu et ceci avec les effets d’ondulations et de gondolement que je souhaitais. Le papier le plus épais avant un aspect plus rigide et un rendu qui ne me satisfaisait pas, et même protégé́ ce dernier pompait l’eau du plâtre et se ramollissait.
Je souhaitais que le papier ondule, gondole pour un effet plus organique qui se retrouverait dans ma pièce finale.
Je souhaite faire oublier la matière papier et que ma pièce finale se transforme en quelque chose de différent. Comme de la peau ou du cuir.
Les premiers essais ont été enduits de vernis acrylique cependant je trouvais le papier trop statique et sans vie une fois sec.
Le durcisseur Texifix de Glorex sur du papier provoque une tension en séchant et c’est ce qui donne les effets de gondolements, d’ondulation comme une peau que l’on froisse. De plus une fois enduite la matrice en papier est vraiment solide et imperméable, donc résistante au coulage du plâtre mouillé.
Pour obtenir la matrice j’ai simplement coulé du plâtre dans mon pliage en inclinant la forme afin que la matière soit bien répartie.


La terre de coulage
J’ai choisi d’explorer une terre de coulage différente : le klinker avec fine chamotte. Le klinker est une terre très plastique et qui a beaucoup de retrait, pas vraiment adaptée au coulage puisque thixotrope. J’ai testé 2 défloculants différents avec un petit moule d’abord : 0.5 % de Formsil, 0.5 % de SP. Le test au Formsil n’a pas été concluant. Le mélange était beaucoup trop lourd et collant. En secouant bien le moule j’ai quand même pu faire un tirage. Mais reproduire le même processus avec un grand moule n’est pas adapté́.
Le test avec SP et un petit moule a été le plus concluant. Le mélange avait bonne consistance, n’a pas collé et s’est bien démoulé́. Le moule a dû être gardé en mouvement avant le vidage de la terre.
Cependant une fois la recette adaptée à mon moule en grande taille elle n’a pas bien fonctionnée. Le mélange est bizarrement devenu très liquide et impropre au coulage.
Je n’ai pas été capable de trouver une réponse concluante et par manque de temps n’ai pas pu continuer l’expérimentation.
Un dernier essai a été fait : rajouter de la porcelaine blanche de coulage C40 au mélange initial de Klinker 4FS et SP, à hauteur de 30 et 50 %.
Ces derniers essais sont les plus concluants en termes de texture et de tenue. J’ai simplement dû garder la terre au niveau du trou de coulage en mouvement pour pouvoir ensuite vider.
Plusieurs pièces finales ont été tirées avec ces mélanges. Ces pièces ont été cuites en monocuisson à HT 1240°C.

Travailler sur ce sujet a élargi et enrichi ma vision sur les possibilités qu’offre la technique du moulage et l’usage du papier et du pliage en céramique.
Malgré́ un début laborieux j’ai pris du plaisir à rechercher diverses inspirations et références. Ces dernières ont même donné lieu à un travail additionnel sur la collaboration entre designer et artiste.
Une fois ma forme choisie j’ai pu basculer mon attention sur le papier et retrouver le plaisir de manipuler cette matière aux potentiels souvent sous-estimés. Jouer avec les épaisseurs et les durcisseurs avant de pouvoir couler ma matrice et enfin voir les ondulations du papier sur le plâtre a été très satisfaisant.
Tester une terre différente et l’adapter pour le coulage a été difficile et il reste un sentiment d’inachevé́, cependant c’est un début de réflexion qui me donne l’envie de continuer, avec le Klinker mais aussi avec d’autres terres et d’autres cuissons.
Un de mes objectifs était de faire perdre sa fonction à l’objet et d’encourager l’audience à imaginer un autre contexte à la pièce. C’est dans ce sens que je propose un photomontage pour ma vision finale.
De ce projet je retiens le beau, le délicat et la versatilité́ des matières. Je note aussi qu’il est difficile de sortir du cadre et de se laisser aller à jouer, à mélanger les matières, et expérimenter. Je me souhaite de garder et travailler cet état d’esprit qui enrichit tellement nos créations.
